" Eh fait doucement !
Mais recule-toi ! "
Assis sur une grosse pierre bien lisse Victor fait un geste de la main pour signifier à son cousin qu'il ferait mieux de s'écarter. Dans la main droite de Victor, il y a le couteau que son père lui à prêté, dans sa main gauche, un cylindre marron de trois ou quatre centimètres de diamètre. Un bâton de dynamite. En pleine forêt amazonienne, dans une rivière qui est sûrement une des plus propres du monde, parce que les filets sont très chers, les indiens shuars pêchent à l'explosif.
Tous les gamins du petit village de Tsuntsu, perdu dans la forêt à une journée de route de la ville la plus proche, sont venus pour participer. Comme dans beaucoup de pays, la pêche est, pour les enfants, plus une sortie qu'une corvée. Et puis dans la région, il y a presque autant de cours d'eau que d'arbres, mais il faut quand même pas mal de monde pour pêcher de quoi manger. On y met les grands moyens.
" Passe-moi une feuille Ivan. " Il faut enrouler le demi bâton de dynamite dedans pour empêcher qu'il ne prenne l'eau trop vite. On y fait un trou pour la mèche avec un bout de bois. " On la met après, c'est dangereux " explique Victor, un peu avare en paroles. Il préfère observer ce qu'il se passe plutôt que de s'étendre. Les deux plus jeunes garçons qui le suivent sont plutôt à l'opposé, mais c'est Victor l'aîné.
Pour l'instant, il observe la rivière. Les plus jeunes courent sur les rochers et ramassent des escargots d'eau, les tsuntsus, qui ont donné leur nom au village. On attend Ivan qui est parti il y a quelques minutes dans la forêt.
Il ne tarde pas à revenir. Il tient un bâton sur son épaule. Au bout du bâton, il y a comme une grosse motte de terre. Pourtant cela n'a pas l'air très lourd. Les enfants s'approchent de lui en riant. Ils posent une main sur la motte de terre avant de regarder y grimper des centaines de petits insectes rouges, des termites.
La technique de pêche des Shuars est rôdée. Les termites sont un appât de choix. On coupe deux petits bouts de leur refuge, puis on les tape l'un contre l'autre pour les faire tomber dans l'eau. Victor, sa dynamite dans la main observe, en contre bas, la surface de la rivière. " Rien ". Amadeo explique : " Si on ne voit pas de poissons monter à la surface pour manger des termites, il faut aller voir plus loin. "
Or la rivière est longue. Il faut remonter plusieurs kilomètres. Tous les cinq cents mètres quelques termites sont sacrifiées, mais pas attaquées par les poissons, il faut encore remonter le cours d'eau.
Les termites ont servi à à quelque chose. Victor lance sa dynamite dans un lacet de la rivière. Une petite colonne d'eau s'élève dans un fracas inhabituel pour la forêt. C'est le signal que tous attendaient pour se jeter à l'eau. L'explosion ne tue pas de nombreux poissons. La plupart ne sont qu'assomés et il faut les attraper avant qu'ils ne se réveillent.
Après les heures de marches dans la chaleur humide, le bain fait un bien fou. Même s'il est un peu physique. Amadeo est un de ceux qui s'en sortent le mieux. Il observe au ras de l'eau et soudain il plonge. Quand il remonte, c'est presque à chaque fois avec un ou deux petits poissons frétillants.
Après avoir utilisé les deux moitiés du bâton d'explosif, le bilan est bien maigre. A peine un kilo et demi de fritures et une vingtaine d'escargots d'eau. Pour autant, personne ne semble le remarquer. Leur pêche miraculeuse est là : un moment d'amusement, une sortie " à la rivière " avec de belles explosions, et puis la forêt et les rivières d'amazonie qui ont leur effet légèrement euphorisant même sur les gens qui y vivent.