Jo Boulad a les yeux un peu dans le vague. Il vous attend à la terrasse de Pastroudis. "Un des derniers cafés grecs de la ville" soupire-t-il. Même lorsqu'il soupire, on sent qu'il affirme. Il serait heureux qu'on dise qu'il est la mémoire de la ville, la mémoire d'Alexandrie. Ce serait faux. Sidi Gaber, les quartiers populaires et périphériques ne se retrouveront jamais dans cet homme d'une cinquantaine d'années aux yeux bleu profond. Par contre la corniche, les pâtisseries et restaurants grecs, le souk al-attarine (le souk des antiquaires) tout cela respire de l'esprit même de Jo Boulad. Cette Alexandrie qui n'existe presque plus, c'est tout lui.
Jo Boulad existe bel et bien lui, mais il est, pour paraphraser un mémoire universitaire paru il y a quelques années, un "héritier sans héritage". Le cosmopolitisme alexandrin s'écroule et ses enfants ne peuvent que le regarder faire. Si Jo Boulad a les yeux dans le vague c'est qu'il est souvent plongé dans une époque qui n'existe plus, où Alexandrie était la Méditérranée plus que l'Egypte, où la corniche avait des allures de Monaco.
Plantu, le dessinateur du Monde, passé par Alexandrie pour une exposition de ses photos sur l'Orient et l'Islam s'était affectueusement moqué de Jo Boulad et de son arbre généalogique. L'homme a gardé le petit dessin le représentant parlant de ses aïeux un verre de vin à la main. Du vin français, italien ou grec. Du vin cosmopolite comme le fut l'Alexandrie de Jo Boulad.
Il l'aimait et en parle comme d'une femme qui est partie. Dieu qu'elle devait être belle !
Portrait photo réalisé pour l'article de Julia Pascual sur l'Alexandrie cosmopolite, texte inédit.
Merci à Jo Boulad pour sa gentillesse et sa disponibilité.