Ça y est Africascopie c'est fini et bien fini. Après trois semaines de reportage, plusieurs jours d'écriture de différents papiers, de tri de quelques 2500 photos, 11 heures de son et un peu de vidéo, enfin environ dix de montage (les week-ends ou les nuits), on peut enfin ranger le matos et classer les photos dans le fond d'un disque dur. On s'est bien amusé, mais maintenant que le webdoc est en ligne, il est temps de prendre un peu de recul et de faire le point.
Un des points qui nous a semblé important en réalisant ce projet était de faire en même temps un blog et un webdoc. Sur ce plan, je pense que c'était un peu une première. Entendons nous bien, plusieurs réalisateurs de webdocumentaires ont tenu un blog en même temps qu'ils réalisaient leur doc, durant le montage voire même pendant le reportage*.
Mais souvent il s'agit d'un blog « making off », où l'on raconte les différentes étapes de la réalisation, sur le mode « nous sommes allés voir un-tel... qui nous a raconté ça... on en est là de la réal'...». Cela apporte des informations, mais qui sont difficilement dissociables du résultat final que sera le webdoc. De cette manière on en garde un peu sous la pédale pour la suite.
De notre côté, nous souhaitions proposer un blog autonome. Pour la simple raison que nous n'étions pas sûr de pouvoir réaliser ensuite un documentaire, nous voulions que le blog soit en lui-même un traitement en profondeur de notre sujet : l'Afrique dans la révolution numérique. Cela a imposé une manière de travailler qui a ensuite eu de l'influence sur le documentaire et qui me font désormais penser que réaliser un blog en même temps qu'un webdocumentaire est possible mais compliqué et imposera une nouvelle organisation au reporter qui s'y frottera.
La diversité des sujets contre la profondeur (un sujet par jour c'est chouette... mais...)
Pour l'ensemble du projet Africascopie, nous avions un angle clair dont nous avions discuté avec le rédacteur en chef du Monde.fr : l'impact socio-économique des nouvelles technologies en Afrique. Reste que pour le blog, il nous fallait trouver non seulement des angles, mais aussi des sujets originaux tous les jours ou presque. Il nous fallait aussi répondre à l'impératif du « blog invité » du Monde.fr qui peut se retrouver en « une » du site. Ce qui nécessite que chaque article soit compréhensible seul, pour le lecteur qui peut tomber dessus sans avoir lu les précédents. Chaque article devait donc à la fois s'inscrire dans la suite des précédents et éclairer à lui seul une thématique.
Celui qui a déjà réalisé un documentaire (dont je n'étais pas avant Africascopie) ou même un long reportage voit bien qu'il y a là une sacrée différence d'approche. Si le documentariste va aborder plusieurs aspects de son sujet, il va tout de même s'y attarder, doubler les prises de vue, attendre le moment propice à tel ou tel plan, organiser une rencontre entre ses protagonistes, bref il va prendre le temps de réaliser son sujet. Impossible pour nous.
Concrètement nous sommes partis sur un rythme de deux sujets par jour pour ensuite pouvoir les étaler sur les jours où nous n'écrivions pas. Car le blog nous a obligé à ce qu'on pourrait appeler une « une construction non-linéaire du reportage ». Concrètement, cela veut dire que nous avons dû partager notre temps entre ces deux objectifs contradictoires. Nous n'avons pas pu engranger petit à petit nos « plans » nos scènes, suivant un plan établi à l'avance. Lorsque nous réalisions un sujet pour le blog qui nous paraissait valoir une place dans le webdoc, nous nous arrangions pour pour pouvoir y revenir plus tard et y consacrer plus de temps, mais parfois ça n'était pas possible.
Complémentarité...
Nous avons eu ce temps, par exemple, pour le portrait de Moussa Diara avec qui nous avons pu passer quelques moments très intéressants, notamment en allant le voir chez lui et ainsi discuter plus en profondeur. Même chose pour le sujet sur la télémédecine qui occupe tout un chapitre du webdoc alors qu'il est presque absent du blog. Dans ces deux cas, on touche à la complémentarité des deux supports.
Et antagonisme...
Mais dans d'autres cas, nous savions que le sujet ne se représenterait pas deux fois, parfois par manque de temps (à la décharge de Mbeubeuss par exemple) ou parce que la rencontre était tout à fait fortuite (comme avec l'aviculteur Miami). Sur le coup, nous ne savions pas si le sujet nous servirait pour le webdoc. S'il n'avait fallu faire qu'un blog, deux ou trois photos auraient été suffisantes, un peu de son, le reste serait passé par des mots et du texte. Pour pouvoir espérer s'en servir ensuite, il a fallu multiplier les prises de vue et de son. Dans ces cas, l'intensité de travail n'a pas été du tout la même que pour un blog. Je pense qu'elle n'a pas été non plus la même que pour un seul documentaire qui ne serait pas « dispersé » à aborder d'autres sujets que ceux qui figureraient dans le produit final.
Un atout éditorial et d'audience
Je pense que dans la logique éditoriale d'un organe de presse, pouvoir faire à la fois un blog et un webdocumentaire est un enjeux important en terme d'audience et d'image. Le blog inscrit une thématique dans la durée, le webdoc lui apporte un produit fini, de type « magazine » qui apporte un peu de recul à un moment où l'on reproche au web de ne pas décoller le nez du fil AFP. Pour l'audience les deux se renforcent mutuellement : les personnes ayant suivi le blog iront plus facilement vers le webdoc, et ceux qui commencent par le webdoc iront peut-être chercher plus d'informations sur le blog.
C'est possible, mais cela demande une grande souplesse de traitement sur place et surtout la capacité à ne se fermer aucune porte au moment du reportage. A cet aune, les 2500 photos d'Africascopie ne pèsent finalement pas si lourd (à part sur mon disque dur).
*voir à ce titre le remarquable blog de web-reporter.net qui a fonctionner de cette façon et sur une échelle très longue qui plus est. Où celui de Prison Valley, qui dans le genre making-off a le bon goût de mettre l'eau à la bouche.