Après avoir discuté de la Thaïlande avec ma mère et avoir abouti à la conclusion que l'on n'était pas super informés (litote?), à défaut de pouvoir y aller vu l'état de mes finances (clin d'oeil à un évebtuel mécène) j'ai décidé d'aller poser des questions à un expert, histoire d'y voir plus clair. Cela tient à peu de chose parfois, le journalisme.
Pour Olivier Guillard, directeur de recherche sur l'Asie à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), la décision de la Cour constitutionnelle d'interdire le parti au pouvoir est dans la droite ligne des dénis de démocratie dont la Thaïlande commence à avoir l'habitude.
La décision de la Cour constitutionnelle d'interdire le Parti du pouvoir du peuple (PPP) du Premier ministre est-elle étonnante à ce point de la crise?
Olivier Guillard : Cette décision est tout sauf une surprise. Elle est dans la droite ligne de celle prise quelques mois plus tôt quand la Cour avait destitué le précédent Premier ministre de manière politique et en usant d'une interprétation très souple de la Constitution plutôt que du réel cadre des institutions. Personne n'est dupe, la décision d'aujourd'hui est elle aussi motivée par des considérations politiques. Il s'agissait, par tous les moyens, de trouver un prétexte judiciaire pour amener le gouvernement à se démettre et pour lui interdire ainsi qu'aux membres du PPP toute activité politique pendant 5 ans.
Le Premier ministre Somchai Wongsawat a dit qu'il se retirerait, que vont faire les autres membres de son parti?
Cette situation le met en effet sur la touche, ce qu'il a accepté assez sportivement en disant qu'il redevenait un simple citoyen. Mais les règles constitutionnelles sont suffisamment souples en Thaïlande, pour reformer un nouveau parti dans les jours qui viennent sous un autre nom. Tous les députés en faisant partie conservent leur mandat et ont le droit de se repositionner derrière cette nouvelle étiquette qui pourrait être créée d'ici huit jours.
Est-ce que cependant cette décision peut accélérer la sortie de crise?
En réalité on n'est pas sorti de l'impasse actuelle. L'opposition qui réclamait ce départ à corps et à cris en monopolisant les instruments et les symboles du pouvoir depuis des mois demeure encore mobilisée. Et de l'autre côté, nous avons les partisans de l'ancien gouvernement. Ils ont déjà commencé à exprimer leur colère dans les rues de la capitale et dans les places fortes de leur camp, le Nord et le Nord-Est du pays. Tout ceci n'augure donc pas d'une amélioration de la situation au moins à très court terme.
Il y a une division entre les classes aisées et les pauvres dans cette crise ?
C'est tout à fait le cas, on est dans une configuration où se font face deux pans entiers de la société thaïlandaise. Ceux qui ont longtemps été les détenteurs originels du pouvoir et de l'autorité, autour du roi, des milieux pensants, de l'élite intellectuelle, de la classe urbaine, bien soutenus en cela par l'armée et les forces de police. Et face à eux, le reste de la population qui est majoritaire du point de vue démographique mais évidemment moins influent en matière politique et d'accès au pouvoir. Ce sont des dizaines de millions d'habitants de la Thaïlande rurale.
Les premiers ne supportent pas le fait d'être cantonnés dans l'opposition à cause du discours populiste de l'ancien premier ministre Tashkin Sinawatra qui plaît beaucoup dans les campagnes du Nord. Les seconds se disent aujourd'hui qu'ils ont élus leurs représentants, qu'ils sont majoritaires mais qu'on leur retire le droit de participer à la direction de ce pays.
Mais les liens de Somchai Wongsawat (le Premier ministre sortant) avec l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra accusé de corruption posaient tout de même problème.
C'était une maladresse évident, de la part de son camp de placer à la tête du gouvernement le beau-frère de Thaksin. Ce calcul là allait évidemment nourrir les rancoeurs des partisans du Parti de l'alliance démocratique. Alliance qui n'a, soit dit en passant, rien de démocratique quand on voit les moyens invraisemblables dont elle use pour arriver à ses fins. Imaginez qu'en France, on confisque depuis août, on squatte à la fois les bâtiments de l'Elysée, de Matignon, de l'Assemblée nationale et qu'Orly et Roissy soient aussi totalement pris en otage au détriment des intérêts de la majorité et de l'économie nationale. Ça ne serait pas du tout concevable.
Que va-t-il de se passer désormais?
Il y a quelques possibilités de scénarios qu'on peut esquisser, mais avec guère de certitudes. La première conclusion vis-à-vis de ce renversement silencieux est qu'elle ne résout aucune question. On a toujours deux partis complètement opposés à savoir le camp royaliste qui demeure encore mobilisé ; et de l'autre côté ceux qui sont en train de crier légitimement au déni de démocratie et au coup d'Etat qui ne dit pas son nom. Ces derniers ont annoncé que, d'ici au 8 décembre, ils seront en mesure de montrer qu'ils conservent une majorité au sein de l'Assemblée nationale et que ce qui s'appelait le PPP a trouvé un nouveau nom, une nouvelle bannière et un nouveau slogan et sera en mesure de présenter un nouveau Premier ministre. Ce qui ne va pas être du goût de l'opposition.
Opposition qui pourrait agir contre cela?
Si on s'achemine vers un quatrième Premier ministre en quatre ans, les autorités liées au Palais royal et aux élites pourraient ne pas tolérer la situation et on pourrait craindre que l'armée n'intervienne et revienne au pouvoir pour un nouvel intérim. Les généraux prétendront peut-être proposer une alternative, faute de mieux. Sauf si d'ici là l'opposition se met soudain en chantier, qu'elle avoue sa défaite et laisse reprendre le cours normal des choses. Mais on les voit mal le faire désormais.
De la même manière qu'il est difficile d'imaginer en être aujourd'hui à un tel niveau d'exaspération que l'on frise la guerre civile. Je ne crois pas à cette option. Ce n'est pas dans la mentalité des Thaïlandais.