La Tunis nouvelle est en effervescence. Depuis que Ben Ali a fuit, la plupart des gens sont bien retournés au travail, mais pourtant il reste impossible de recenser tous les mouvements, toutes les manifestations, qui agitent encore la capitale tunisienne, trois jours après sa « révolution ».
De rue en rue, de bâtiment administratif en bâtiment administratif, on dirait que chaque coin de rue est un lieu de revendication et de rassemblement.
Oui la vie a repris. Les vendeurs de rue sont là (ils ne font que pousser leur chariot pour éviter les foules qui longent l'avenue Habib Bourguiba), les cafés ou les restaurants sont ouverts et la plupart des personnes qui sont dans les rues ne sont que de simples passants. Mais il y a une effervescence, une ambiance, une certaine tension aussi, qui sont pour le moins peu communes.
Au détour d'une avenue, on tombe sur l'expulsion de je-ne-sais-quelle directrice d'administration, accusée par la foule de n'être qu'une corrompue. « Il y a des tas de gens qui ont un petit Ben Ali à eux au-dessus de leur tête et qui ne peuvent plus le supporter », m'expliquera plus tard un étudiant, quant à la destitution de ces petits tyrans ordinaires favorisés par un régime gangréné et clientéliste. La joie des manifestants dans ces moments est évidente et semble aussi grande qu'au premier jour. Une joie laissant pourtant cette petite légère impression du jugement populaire expéditif. La directrice en question étant emmenée dans une voiture, encadrée de militaires, sans que l'histoire dise si elle a vraiment été arrêtée ou simplement démise de ses fonctions et déposée un peu plus loin, abandonnée à sa nouvelle condition...
« Dégage ! Dégage ! Dégage ! »
Le mot d'ordre national tunisien, la réplique que l'on entend dans toute les bouches, que l'on voit graffitée sur tous les murs semble aujourd'hui être un débordant et contagieux « Dégage ! ». Il est sur toutes les lèvres, même sur celles de ceux qui ne manifestent pas mais qui se racontent les uns les autres se qu'ils ont vu. C'est un de ces mots qu'au Maghreb on ne prend pas la peine de traduire et qu'on prononce, en français dans le texte, au milieu d'une phrase en arabe.
C'est sur l'avenue Habib Bourguiba, là où la foule, par son nombre, a fait vaciller Ben Ali le 14 janvier, que se concentre l'essentiel des cortèges de revendication. En milieu de matinée, ce sont surtout des jeunes qui crient leur fameux « Dégage ! ». Tout au long de la journée, ils sont rejoins par d'autres groupes, avec d'autres revendications. Certains repartent ensuite un peu plus loin, rentrent chez eux ou vont placarder sur une succursale du ministère de l'intérieur les noms de ceux qui selon eux ont profité du système.
A chaque attroupement son lot de discussions véhémentes. Difficile pour moi qui suis un piètre (et même moins que ça) arabophone de toujours bien comprendre les tenants de ses discussions. Certains estiment en tout cas que les revendications ont assez duré, que les changements obtenus sont suffisants (au moins pour le moment) et qu'il faut retourner au travail, d'autres se disputent sur les mots d’ordres car de nombreux groupes ont vu en ces manifestations des manières d'exprimer des revendications sectorielles. C'est notamment le cas de certaines branches particulièrement défavorisée qui étaient jusque là forcées de se taire. Ceux qui autrefois n'avaient aucune voix viennent toucher du doigt cette révolution et cette liberté de parole qu'ils viennent de gagner.
PS : Désolé pour les petites photos, je suis parti en argentique sans compter bloguer, et me voilà donc réduit aux photos au téléphone portble