L'esthétique contre le sens?
Comme je l'ai déjà fait remarquer dans un billet précédent, le journal Libération entretien un rapport tout particulier avec la photographie. Pleines pages et portfolios font de ce quotidien une execption dans le paysage de la presse française.
Un point qu'il faut avoir en tête en regardant les illustrations de ce journal est qu'elles résultent d'un choix délibéré: celui de l'esthétique. En clair, ce journal a choisi de présenter des photos pour leur beauté, pour leur rendu particulier, sur des critères qui en réalité ne relèvent pas forcément du domaine informatif, mais plutôt du domaine artistique.
Ce choix délibéré se défend et, de toute manière, fait l'originalité de cette parution.
Il est cependant important de garder à l'esprit cette caractéristique illustrative: les images sont là pour faire beau et non pas forcément pour informer (je dis "pas forcément" car parfois elles informe àleur manière). Il arrive donc que l'image non seulement n'apporte pas vraiment d'information au lecteur, mais aussi parfois qu'elle lui donne une information CONTRAIRE à celles de l'article ou même contraire à la REALITE illustrée par elle.
Un exemple frappant est celui d'une récente manifestation de personnes handicapées à Paris.
L'image ci-dessous est celle publiée dans Libé le lendemain. On y voit une personne en fauteuil, seule et loin devant une scène, vide, dans une rue vide. On le voit assez mal sur cet exemplaire scanné, mais le grain de l'image est assez particulier, elle est dans des tons chauds très agréables. Cette image est vraiment très belle. Elle accède presque à la dimension de symbole (la solitude des handicapés par exemple) ce qui est un moyen prisé, en photojournalisme, de délivrer de l'information.
Problème: elle ne correspond que de très loin à la réalité de cette manifestation. Elle ne correspond d'ailleurs pas à l'article qu'elle accompagne ni même à sa légende: journée d'action des personnes handicapées devant le ministère de la Santé.
Que nous dit cette image ? Que la manifestation n'a attiré personne, la scène était vide. En extrapolant sur l'image seule, on irait jusqu'à penser que les revendications des manifestants n'ont pas abouties puisqu'ils ont déserté le "champ de bataille".
Cette image a dû être prise peu avant que les gens n'arrivent et avec la complicité de la personne qui est venue se placer ici alors que les autres manifestants se trouvaient, à ce moment à l'opposé. Ils étaient en réalité tous regroupés de l'autre côté de la rue au début de la manifestation.
Si l'on prend le point de vue du photographe, il tourne le dos à la foule, en un sens il tourne le dos à l'actualité.
Le parti pris de l'esthétique est respectable, mais faut-il faire courir le risque de délivré un message biaisé, sacrifié sur l'autel de la "bonne photo".