Les belles Belon sous protection
Reportage à marée basse
" La surveillance des parcs à huîtres, c'est du boulot en plus " explique le gendarme B., " notre secteur s'étend du front de mer à Arzano ". Membre du Psig (peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie) à Quimperlé (Finistère), il part avec deux collègues pour renforcer une brigade de Pont-Aven qui ce soir surveille des parcs à huîtres.
La voiture zigzague sur une route qui ressemble à un tunnel. Les arbres qui l'entourent se rejoignent à leur cime. Ici, c'est le secteur 14, celui du Psig de Quimperlé. « Du front de mer à Arzano », cela fait une diversité de terrain et des interventions variées pour ces hommes qui préfèrent les sorties à la paperasse.
Ils sont un peu les « gros bras » de la gendarmerie. « On ne fait pas de papier, nous, juste de l'intervention » assure le gendarme C.. D'ailleurs les trois membres de la patrouille ont commencé leur carrière dans la gendarmerie mobile (l'équivalent des CRS dans la police). Bavard, le chef d'équipe rit quant son collègue de Pont-Aven l'appelle sur son portable : « Ouais ouais, on arrive sur le port de Belon dans cinq minutes .»
" On est en shouf là "
En arrivant, le conducteur coupe les phares. La planque est censée commencer quand un homme avec une veste polaire rouge s'approche. « C'est celui que je pense ? » demande C. « C'est un drôle celui-là » souffle-t-il sans attendre la réponse de ses collègues. L'homme, passablement éméché s'approche et frappe à la vitre. « On est en shouf là, en discrétion, on a pas le temps de t'aider » assène le chauffeur. L'homme garde son sourire alcoolisé et débite des phrases à deux cents à l'heure avec un accent breton à couper au couteau. D'une trentaine d'années, il porte de vieux sabots en bois. « Même nous on comprend pas tout » s'esclaffe un des militaires en traduisant approximativement les propos de l'homme en rouge.
De l'autre côté du petit port où sont affinées les fameuses huîtres plates « Belon », la brigade de Pont-Aven est arrivée. Après quelques appels de phares, un des hommes appelle le gendarme B. sur son portable : « C'est le Père Noël avec toi ? - Oui mais il a trop bu. » Les hommes d'en face balaient le port avec leurs lampes torches. S'il y avait des voleurs d'huîtres dans cette nuit froide, ils sont partis depuis longtemps. Seuls restent de vieux hiboux qui hululent au loin.
Après une vingtaine de minutes de « planque », le temps d'essayer les nouvelles lunettes de vision nocturne, la patrouille part rejoindre ceux d'en face. L'adjudant B. est un gars du coin. Pas très grand, chauve et sec. Il dirige les patrouilles de surveillance nautique. Il avoue que pour prendre des voleurs d'huîtres sur le fait depuis la terre ferme, comme ce soir, « il faut beaucoup de chance ». « En fait notre rôle est plutôt dissuasif ».
Les deux patrouilles échangent quelques mots et soupirent alors que l'homme en rouge les rejoint. Il a pris une barque et a traversé à la rame. « Vous avez entendu parler du Copernic ? » demande-t-il. Oui ils en ont entendu parler toute la journée. Le patron de ce bateau a disparu en mer cet après-midi et l'on est sans nouvelles de lui. Oui ils en ont entendu parler et ne veulent pas en savoir plus pour le moment. La disparition en mer est la pire des choses qui puisse arriver à un marin pêcheur.
Pas d'incidents pour le moment. Les deux patrouilles se séparent et repartent chacune dans leur secteur. Il est déjà 1 h du matin, encore deux heures de ronde pour les hommes du Psig.
Paroles d'affineur-importateur
Une tonne d'huîtres en une heure
Jean Thaëron est, avec son frère Josic, patron d’une des plus grandes entreprises conchylicole du secteur de Quimperlé. En plus des 2000 tonnes d’huîtres creuses et 150 tonnes de plates (la fameuse « Belon ») qu’il vend chaque année, il commercialise toute une gamme de crustacés et de coquillages. Affineur reconnu, il est en première ligne face aux vols d’huîtres. En effet dans ses parcs, parfaitement accessibles à marée basse, les huîtres sont matures et prêtes à être commercialisées. Un peu fataliste il explique :
« Il est difficile de se protéger des vols. Ce n’est pas quelque chose de nouveau d’ailleurs. Du temps de mon grand-père chaque ostréiculteur faisait des rondes dans la baie à tour de rôle. Ensuite on a dû embaucher des compagnies de surveillance privées. Malheureusement elles ne faisaient que repousser le problème : les voleurs viennent en bateau et peuvent s’échapper facilement. Une fois, en une nuit ils nous ont volé une tonne. Il leur a fallu à peine une heure.
Aujourd’hui la brigade nautique est beaucoup mieux équipée et elle dissuade beaucoup de voleurs.
Il reste quand même des vols car les gars savent qu’ils n’auront aucun mal à écouler quelques poches (les sacs en grillage dans lesquels grandissent les huîtres, ndlr) à moitié prix sans facture. Mais sur une poche ou deux on ne sait pas vraiment chiffrer le préjudice. En plus on ne peut pas tout surveiller car les parcs sont dispersés le long de la baie.»
Les bouriches de Belon dans le plus pur
respect de la tradition: rondes et remplies d'algues.
Préparation d'une huître "à ouverture facile. Le bord en est limé, puis rebouché à la cire alimentaire.
Reportage effectué les 20 et 21 décembre à Quimperlé dans le Finistère pour le journal école du CFJ.
Les poches d'huîtres sont disposées sur des tables dans l'embouchure de la rivière Belon. Sur le domaine public, les parcs sont facilement accessibles à marée basse.