5 septembre 2008
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Le numéro de Paris Match de cette semaine déclenche la polémique. En cause, la publication par l'hebdomadaire d'images d'un des groupe de talibans ayant participé à l'embuscade contre les soldats français le 18 août dernier. Depuis, les commentaires affluent sur le site de Paris Match sur une vidéo où Véronique de Viguerie explique les conditions de l'interview (pour tout dire, c'est moi qui ai réalisé l'interview de cette photojournaliste).
Au-delà de la virulence des commentaires et des e-mails reçus à la rédaction de Match, il est clair que la publication de ces clichés pose quelques questions et remet sur la table (en plein festival Visa pour l'Image ça tombe bien) le débat sur la responsabilité des journalistes et plus particulièrement des photojournalistes, puisque plus que tout autre journalistes ils montrent l'actualité.
Au-delà de la virulence des commentaires et des e-mails reçus à la rédaction de Match, il est clair que la publication de ces clichés pose quelques questions et remet sur la table (en plein festival Visa pour l'Image ça tombe bien) le débat sur la responsabilité des journalistes et plus particulièrement des photojournalistes, puisque plus que tout autre journalistes ils montrent l'actualité.
Les armées refusent de montrer leurs morts, ou le mythe de la guerre propre
Dans un sens, la polémique suite à la publication de ces cichés n'est pas étonnante. Le sujet des soldats tombés au combat a toujours été très délicat en matière de photojournalisme.
Les Etats-Unis ont été très concernés par ce sujet, (dès la guerre de Sécession cf Susan Sontag) notamment au moment de la guerre du Vietnam. Les images très fortes et violentes de ce conflit sont légions (cf. Vietnam Inc, de Philip Jones Griffiths). Très vite une règle tacite s'est imposée en matière de représentation des morts : on ne devait pas pouvoir les reconnaître. Ainsi ils étaient normalement photographiés uniquement de dos.
Il va malheureusement sans dire que cette retriction s'applique uniquement aux "boys", aux soldats américains représentés par la presse américaine. Pas de restrictions pour montrer l'ennemi tombé au combat si ce n'est, dans une certaine mesure, celle du caractère choquant du cadavre.
L'idée que l'armée veut montrer une guerre propre et surtout ne pas démoraliser ses troupes et leurs familles en leur montrant qu'ils peuvent souffrir commence à porter. Et il n'y a rien de plus à lire dans les déclarations d'Hervé Morin, ministre français de la Défense, tançant la presse pour le débat sur l'embuscade (pour le Canard Enchaîné) et la publication des photos (pour Paris Match).
Dans un sens, la polémique suite à la publication de ces cichés n'est pas étonnante. Le sujet des soldats tombés au combat a toujours été très délicat en matière de photojournalisme.
Les Etats-Unis ont été très concernés par ce sujet, (dès la guerre de Sécession cf Susan Sontag) notamment au moment de la guerre du Vietnam. Les images très fortes et violentes de ce conflit sont légions (cf. Vietnam Inc, de Philip Jones Griffiths). Très vite une règle tacite s'est imposée en matière de représentation des morts : on ne devait pas pouvoir les reconnaître. Ainsi ils étaient normalement photographiés uniquement de dos.
Il va malheureusement sans dire que cette retriction s'applique uniquement aux "boys", aux soldats américains représentés par la presse américaine. Pas de restrictions pour montrer l'ennemi tombé au combat si ce n'est, dans une certaine mesure, celle du caractère choquant du cadavre.
L'idée que l'armée veut montrer une guerre propre et surtout ne pas démoraliser ses troupes et leurs familles en leur montrant qu'ils peuvent souffrir commence à porter. Et il n'y a rien de plus à lire dans les déclarations d'Hervé Morin, ministre français de la Défense, tançant la presse pour le débat sur l'embuscade (pour le Canard Enchaîné) et la publication des photos (pour Paris Match).
En Irak, ces règles déontologiques imposées par l'Etat Major se sont renforcées. Désormais en plus des restrictions sur les morts, les photojournalistes doivent demander leur autorisation aux soldats blessés pour publier leur image. Récemment, le cas d'un photoraphe qui avait publié sur son site des images d'un attentat suicide contre des troupes US (alors qu'il était "embed") a créé une vive polémique Outre-Atlantique. Le dit photographe, Zoria Miller (merci Pierre), a été blacklisté par l'armée "pour sa propre sécurité" selon l'Etat-major (cf New York Times).
Dans quelle mesure le journaliste est-il responsable de ce qu'il montre ?
Deux tribunes du Figaro (une de Max Gallo et une de Jean-Marc Balencie, membre d'un cabinet de conseil) accusent les photographies de Match d'être une nouvelle salve contre l'armée française. Grâce à ce genre d'articles, explique Max gallo "les Talibans peuvent gagner la guerre", car ils vont gagner la victoire de l'opinion.
N'est-ce pas là vouloir faire jouer aux journalistes un rôle qui n'est pas le leur : défendre la Nation? L'accusation de participer à la propagande des talibans ne peut être écartée du revers de la main, en revanche on ne peut pas demander aux journalistes de suivre les recommandations des militaires et d'entrer dans le jeu pour gagner la guerre. Kapuscinski dans Voyages avec Hérodote fait remarquer que le rôle principal du journaliste est donner la parole "aux autres" (à tous les sens du terme). L'exemple qu'il donne à propos d'Hérodote est justement celui de la guerre : Hérodote veut savoir ce que les "autres" pensent des grecs à une période où Athènes est en conflit ouvert avec ses voisins. À la lumière de ce texte, les journalistes font leur travail en allant parler aux "ennemis".
Les photographies du Vietnam ont en effet retourné l'opinion US, et dans un sens ont fait "perdre" la guerre à l'Amérique. D'ailleurs de nombreux photographes de guerre se définissent comme des photographes "anti-guerre", ou dans une moindre mesure désirent faire prendre conscience au public de la dureté d'un conflit. Dans ce cadre en effet, les désirs de l'armée et des journalistes semblent impossible à accorder.
N'est-ce pas là vouloir faire jouer aux journalistes un rôle qui n'est pas le leur : défendre la Nation? L'accusation de participer à la propagande des talibans ne peut être écartée du revers de la main, en revanche on ne peut pas demander aux journalistes de suivre les recommandations des militaires et d'entrer dans le jeu pour gagner la guerre. Kapuscinski dans Voyages avec Hérodote fait remarquer que le rôle principal du journaliste est donner la parole "aux autres" (à tous les sens du terme). L'exemple qu'il donne à propos d'Hérodote est justement celui de la guerre : Hérodote veut savoir ce que les "autres" pensent des grecs à une période où Athènes est en conflit ouvert avec ses voisins. À la lumière de ce texte, les journalistes font leur travail en allant parler aux "ennemis".
Les photographies du Vietnam ont en effet retourné l'opinion US, et dans un sens ont fait "perdre" la guerre à l'Amérique. D'ailleurs de nombreux photographes de guerre se définissent comme des photographes "anti-guerre", ou dans une moindre mesure désirent faire prendre conscience au public de la dureté d'un conflit. Dans ce cadre en effet, les désirs de l'armée et des journalistes semblent impossible à accorder.
Le rôle du public : pourquoi refuse-t-il de voir (ou bien fait-il semblant) et pourquoi le journaliste ne doit pas forcément en tenir compte.
Bien souvent dans ce genre de débat, public et journalistes se renvoient la balle. Le public dit ne pas vouloir voir, dit vouloir du fond, et les journalistes de répondre que lorsqu'il mettent un sujet ardu en Une, leur journal ne se vend pas (d'ailleurs cette semaine Paris Match fait sa Une sur Mélissa Theuriau et non pas sur l'Afghanistan). Internet offre d'ailleurs de belles preuves de cette difficulté : il suffit d'aller voir sur le site Rue89 pour constater que les articles sur l'Afrique se "vendent" moins bien que les articles sur la vie privée des hommes politques (par exemple). La tentation de faire du choc est alors grande, même si cela doit déclencher une polémique (c'est même souvent l'effet recherché).
Patrick Chauvel dans son livre Rapporteur de guerre explique qu'il ne se sent pas responsable des images qu'il montre. Au contraire il est responsable des images qu'il ne montre pas puisqu'il cache de l'information. Les photos qu'il publie sont en quelque sorte livrées à l'opinion du public et c'est en suite à lui de s'en charger, d'en tirer les conséquences.
Bien souvent dans ce genre de débat, public et journalistes se renvoient la balle. Le public dit ne pas vouloir voir, dit vouloir du fond, et les journalistes de répondre que lorsqu'il mettent un sujet ardu en Une, leur journal ne se vend pas (d'ailleurs cette semaine Paris Match fait sa Une sur Mélissa Theuriau et non pas sur l'Afghanistan). Internet offre d'ailleurs de belles preuves de cette difficulté : il suffit d'aller voir sur le site Rue89 pour constater que les articles sur l'Afrique se "vendent" moins bien que les articles sur la vie privée des hommes politques (par exemple). La tentation de faire du choc est alors grande, même si cela doit déclencher une polémique (c'est même souvent l'effet recherché).
Plus prosaïquement, les photojournalistes eux-mêmes disent souvent avoir beaucoup de mal à vendre leurs photos si elles ne sont pas "choc". Pour revenir aux images de Paris Match, beaucoup de gens attaquent les journalistes en disant à tort qu'ils ne cherchent que le "scoop". C'est le cas pour ces images qui sont un scoop, c'est indéniable. Mais Véronique de Viguerie est une spécialiste de l'Afghanistan. Malgré son jeune âge, elle y a résidé plusieurs années et en a fait des centaines de photos. Ses images sont magnifiques, très fortes sans être choquantes ni senstionnalistes. Mais elles ne trouvent pas forcément la faveur des magazines et sont plutôt publiées dans des livres dont la diffusion et la médiatisation sont fatalement moindres. D'ailleurs lors de son interview, Véronique de Viguerie ne cachaient pas que les photos publiées dans Match ne sont "pas celle {qu'elle} préfère". Ironie du sort, ce sont sûrement celles qui lui rapporteront le plus d'argent.
Souvent les lecteurs accusent les photojournalistes de voyeurisme. Plus grave encore est la critique qui consiste a prendre ces derniers comme responsables des scènes qu'ils montrent. Une réponse à cette question se trouve dans le documentaire Rapporteurs de guerre de Patrick Chauvel. Un photographe y montre une photo qui lui a valu la vindicte populaire : le meurtre d'un opposant au Liberia sous ses yeux par une foule déchaînée. On lui a nottament reproché de n'avoir pas empêché ce qui se passait, autre question "qu'est-ce que ça apporte comme information?". Légèrement désabusé, le photographe explique que les photojournalistes perçoivent souvent le moment où ils ne peuvent plus rien faire à part se mettre eux-même en danger. Surtout il ajoute qu'il s'est vite rendu compte que les gens qui faisaient cette critique ne savaient même pas où se situaient le Liberia ni n'importe quel autre endroit où il était allé risquer sa vie pour témoigner. Il en tire la conclusion que les gens préfèrent ne pas savoir et que ces photos qui les dérangent sont une épine dans leur pied. Épine que sont d'ailleurs censé être les journalistes non? Conclusion : il a décidé de ne plus y faire attention et de s'en tenir à sa conscience pour montrer ou pas ce qu'il voit.
A lire, à voir (les liens vous envoient vers amazon pour vous donner une idée pas pour faire de la pub ;-)):
Devant la douleur des autres par Susan Sontag et Fabienne Durand-Bogaert (Broché - 1 octobre 2003)
Rapporteur de guerre, livre de Patrick Chauvel (Poche - 8 octobre 2004) Rapporteurs de guerre par Patrick Chauvel (DVD - 2005)
"Nous pouvions montrer les morts", article page trois du Monde daté dimanche 7 lundi 8 septembre.
War Photographer par NACHTWEY JAMES (DVD - 2004)
"Nous pouvions montrer les morts", article page trois du Monde daté dimanche 7 lundi 8 septembre.
Faut-il parler aux Talibans ?
Une des réactions courantes en ce moment est de dire que Paris Match a donné la parole aux talibans, "à nos ennemis". Beaucoup s'en indignent. Alors je vous propose ce petit lien qui n'a pas déclenché de telle polémique à l'époque et qui surtout pose la question ed la résolution du conflit en des termes crus : Faut-il parler aux talibans?
Talking with the Talibans, un reportage mulitmédia du Globe and Mail.
Une des réactions courantes en ce moment est de dire que Paris Match a donné la parole aux talibans, "à nos ennemis". Beaucoup s'en indignent. Alors je vous propose ce petit lien qui n'a pas déclenché de telle polémique à l'époque et qui surtout pose la question ed la résolution du conflit en des termes crus : Faut-il parler aux talibans?
Talking with the Talibans, un reportage mulitmédia du Globe and Mail.
Dossier "Les médias dans la guerre". (pdf)