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Jeune journaliste, j’essaie de pratiquer ce métier pour "raconter le monde" et donner à voir ce que l'on ignore parfois. « Le voyage ne commence pas au départ et ne finit pas au retour » écrit Kapuscinski dans Mes Voyages avec Hérodote. Pour expliquer la façon dont des gens que nous ne connaissons pas voient le monde et leur vie, il faut être près d’eux. En tentant de mieux comprendre leur point de vue on acceptera mieux la différence et peut-être verra-t-on qu’elle n’est pas si… différente ?

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- Antonin Sabot-Lechenet
12 décembre 2007 3 12 /12 /décembre /2007 10:23
Le 25 décembre, la rotative du journal La Tribune-Le Progrès sera livrée aux ferrailleurs. La moitié des techniciens partira en retraite anticipée, les autres iront travailler en banlieue lyonnaise.



Tous ont ce même regard dans le vide. Un air désabusé avec parfois une moue résignée. Les 74 techniciens de La Tribune-Le Progrès, quotidien du département de la Loire, savent que la moitié d'entre eux partira d'ici la fin de l'année. Depuis juillet, les choses sont fixées. Dès lors, la résignation règne dans les couloirs du 25 rue de la Robotique à Saint-Etienne, siège de la rédaction et centre d'impression du journal.

 

Vers minuit ce samedi de début décembre, la rotative du journal commence à tourner. Dans cinq heures, elle aura couché sur papier le travail de toute la rédaction. Cent trente mille exemplaires pour cinq éditions différentes. On l'entend dans tout le bâtiment bien sûr, comme un train qui passe au loin, ou un avion qui se chauffe les moteurs avant de décoller. On la sent même vibrer sur le plateau où travaillent encore quelques monteurs, chargés de la mise en page. La machine, qui avale encore jusqu'à 28 tonnes de papier par jour pour que le journal paraisse, cessera de fonctionner le 25 décembre. La Tribune-Le Progrès, le seul quotidien de la Loire, ne sera plus imprimé à Saint-Etienne, mais d'un centre d'impression moderne en banlieue lyonnaise.



Le regard dans le vague est la première réponse quand on parle du départ de la machine. La fermeture de l'imprimerie, ça fait dix ans qu'elle pend comme une épée de Damoclès sur le journal, explique le délégué syndical CGT des imprimeurs Roger Chantre. Le Plan de modernisation social (PMS), destiné à aider à la restructuration de toute la presse française, s'appliquera au journal. Comme dans de nombreux titres de presse en France, une grande partie des effectifs techniques va quitter l'entreprise. Aidés par l'Etat, « ceux-là ne sont pas les plus à plaindre » explique Roger Chantre, ils continueront à toucher 80% de leur salaire jusqu'à leur retraite. Un plan « nécessaire » selon le syndicaliste, « sinon on allait droit dans le mur avec licenciements secs à la clef ».

                         

Hasard du calendrier, le journal du matin titrait sur le dernier char Leclerc fabriqué dans la région. Les entreprises Giat, dernier reliquat de l'industrie des armes dans la région, ferment. Tout comme le verrier Duralex l'an dernier et cet été, les Houillières de bassin Centre Midi. Les techniciens de La Tribune se sentent pris dans un mouvement qui les dépasse. « C'est partout comme ça » souffle un des responsables de l'expédition. Il regarde certains des ouvriers qui haussent les épaules. « Ils ont déjà démonté une des lignes sur lesquelles ont travaille pour la transférer à Lyon. Du coup ça fait plus de boulot pour le moment pour les CDD ». Pour le moment seulement, car les employés en contrat à durée déterminée ne sont pas pris en compte dans les objectifs de reclassement.


« Ce qu'ils vont faire? S'inscrire en boîte d'intérim... ils seront prioritaires » explique le responsable de l'expédition. « Sauf que s'il y a sureffectif, on ne travaillera jamais. Et il faudra aller à Lyon aussi » note tout bas l'une des employées, un peu à l'écart.


A 54 ans je fais quoi ?

Les CDD sont bien sûr ceux pour qui la transition va être la plus dure. Certains ont plus de 52 ans et auraient bénéficié des mesures du PMS s'ils avaient été embauchés. Mais les réaménagements, sous une forme ou une autre étaient prévus depuis longtemps; alors La Tribune-Le Progrès et le groupe Ebra qui possède le quotidien depuis février 2006 (racheté à la Socpresse qui l'avait lui-même acheté à Hersant) les emploie depuis plusieurs années en contrat de courte durée.


Gilles par exemple travaille au flashage de manière très régulière depuis 5 ans déjà: seul dans une grande pièce à la lumière jaune, il insole des plaques de fer qui serviront à retenir l'encre pour imprimer les journaux. Son premier CDD dans l'entreprise remonte à 1977. « Ils m'ont dit que ça ne comptait pas dans le calcul de l'ancienneté, se plaint-il. Alors de toute façon le 25 décembre... paf! Même pas merci. » De la jambe, il figure le coup de pied au fesse que va lui envoyer son employeur. « A 54 ans, je risque pas de trouver grand'chose, je sais que pour moi ça va être le RMI jusqu'à la retraite ».

Le-progr--s-03.jpg

A l'imprimerie, on se résout tant bien que mal au déménagement. André, chef d'équipe, regarde la vieille rotative Goss, elle tient sa place depuis trente ans : « Bientôt ils vont la découper en morceau. Elle aurait bien fait quelques années de plus. Celles du nouveau centre sont plus grandes, mais elles ne tiendront pas aussi longtemps. » Les hommes eux feront les trajets. Cent quarante kilomètres par jour. Il faudra aussi d'adapter aux nouvelles équipes, réduites, et aux nouvelles fonctions.


Vers trois heures du matin, les rotativistes vont manger un bout au réfectoire. Comme dans toutes les cantines stéphanoises, on parle football. Au bout d'un moment, ils finissent bien par aborder l'après 25 décembre. Dans le fond, s'ils sont nostalgiques de leur rotative, ils ne se font pas trop de soucis pour leur prochain emploi. Nombre d'entre eux sont déjà allés suivre les premières formations nécessaires dans le nouveau centre d'impression. Ils ont déjà repéré « ceux qui ont l'air sympa », disent-ils.


Du côté des conditions de travail, elles seront à peu près semblables. Comprendre toujours aussi difficiles : de nuit toute l'année, dans le bruit et les poussières de papier et d'encre sur le visage, dans les yeux et la bouche qui font que l'on a toujours soif quand on va passer un moment avec eux. L'essentiel est préservé : « On garde notre métier » soulignent les syndicats.


Devenir journaliste

Les monteurs qui mettent en page le journal devront eux en changer de travail. Le départ de la rotative s'accompagne de nouvelles techniques de mise en page qui rendent leur poste obsolète. Certains ont commencé à monter les pages à la main, ils ont ensuite connu la révolution de l’informatique. Aujourd’hui, un autre bouleversement les attend. En face du réfectoire où mangent les « rotos », un petit couloir mène à la rédaction et au plateau ouvert où ils travaillent. A cette heure, ils sont déjà tous partis.


Quelques heures plus tôt, certains d'entre eux discutaient des possibilités de reclassement qui leur sont proposées. « Qu'est-ce que tu y a compris toi à la réunion? Pour moi y'a encore une zone de flou... - Ben ça sera à l'ancienneté et après ça sera au concours... si t'es le meilleur. » La moitié partira l'an prochain en PMS, les autres deviendront journalistes, infographistes ou travailleront au service promotion du journal. Leur passage d'un poste à l'autre s'effectuera sur concours.  « T'es sûr? J'ai pas vraiment compris ça moi. Et puis j'ai commencé à en faire des tests. Des QCM. Des fois t'as 15, t'es content. Le coup d'après t'as 9. C'est la roulette. Au petit bonheur. » De la main il fait mine de mettre une pièce dans une machine à sous puis de tirer sur son bras imaginaire. « Et puis y a la philosophie du truc... un concours » souffle son collègue. Enervé l'un conclut : « Toute notre vie on a été techniciens. Et puis maintenant il faudrait devenir journalistes ? D'accord, il y a l'ambition de faire quelque chose mais après ... pff... »


Quatre heures. C'est la dernière ligne droite pour les gars des rotos. La dernière édition sortira dans à peu près une heure. Les machines sont assez bien réglées pour que le travail soit plus tranquille. Un peu à l'abri du bruit, derrière les vitres du poste de contrôle, Daniel, un grand en salopette bleue, jette un dernier regard aux nouvelles grilles de salaires qui vont leur être appliquées. Jusqu'à présent ils gagnaient en moyenne 2.500 euros par mois. Ceux qui partent vont donc être rémunérés près de 2.000 euros pour rester chez eux, à 45% par l'entreprise et à 55% par l'Etat.


« Il y a deux ans, on aurait pu sauver le centre d'impression de Saint-Etienne en le modernisant » assure Roger Chantre. Le groupe Le Progrès avait acheté trois rotatives allemandes. L'une d'entre elle était promise à Saint-Etienne. Pour 2,5 millions d'euros, en partie sur aide de l'Etat, un immense hangar a même été ajouté au bâtiment existant. Il devait accueillir une belle Heidelberg à six millions d'euros, tournant à 80.000 journaux par heure (contre 40.000 pour la rotative actuelle) qui n'est jamais arrivée. Le PMS lui coûtera 22 millions au groupe Ebra qui a racheté Le Progrès l'an dernier et autant à l'Etat.



nétiquettes : reportage Saint-Etienne media
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